L'aqueduc romain

Floursies - Bavay

(pour ne pas oublier son Histoire)

Sommaire
Page 01 Introduction Page 10
Les tournelles de Vieux Mesnil
Page 02 Ce que nos anciens ont écrit Page 11 De Vieux Mesnil à Bavay
Page 03 La Fontaine St Eloi à Floursies et les captages romains Page 12 L'aqueduc en chiffres
Page 04 L'aqueduc à Dourlers, Saint Aubin et Ecuélin Page 13 Canalisations en plomb
Page 05 La branche d'Eclaibes, Limont Fontaine et Ecuélin Page 14 Instruments de visée
Page 06 Secteur de Bachant et St Rémy du Nord Page 15 Principe du pont siphon
Page 07 Les bassins et piles à St Rémy du Nord Page 16 Les cartes
Page 08 La traversée de la Sambre Page 17 Contributeurs et ouvrages consultés
Page 09 Le mur de Boussières sur Sambre

Conduits et canalisations en plomb

Les conduits :

Les Romains avaient réalisé l'importance du frottement que peut exercer l'écoulement de l'eau sur une surface. Ils s'étaient attachés à en limiter l'action, à l'intérieur même des conduits d'aqueduc.
Les parties basses des parois intérieures comportaient chacune des rangées de carreaux triangulaires superposés dont les chants lisses étaient disposés pour former le lit d'écoulement du conduit. Ils avaient pour fonction de limiter le frottement de l'eau et d'en favoriser l'écoulement.

L'opus latéricium :
Les conduits souterrains de l'aqueduc de Bavay qui ont été étudiés (branche d'Eclaibes tronçons du collecteur à Bachant, St Rémy, Boussières, conduit secondaire à Bavay (1) attestent une unité de construction. Seules les parties relevées à Bavay par M. le Chanoine Biévelet et à Dourlers par Chevalier sont conçues différemment (Il faut toutefois se défier des descriptions de l'aqueduc de Floursies données par Chevalier, le revêtement intérieur du conduit, s'il était tel qu'il nous le dit, aurait été d'une fragilité extrême et n'aurait pas pu résister à la force du courant d'eau, vu les pentes fortes du conduit. De plus, le frottement, qu'il importe de réduire au maximum, aurait été plus grand dans ce cas).
Les parois latérales du conduit sont bâties intérieurement en opus latericium selon une technique originale. Des briques carrées de 27 cm de côté et de 4 cm environ d'épaisseur présentaient des rainures larges de un cm et profondes de un cm, pratiquées selon les diagonales avant cuisson de façon que le maçon puisse les casser en quarts de briques triangulaires. Ces quarts de briques étaient alors maçonnés en lits superposés, la pointe, tournée vers l'extérieur du conduit et le champ lisse vers l'intérieur, le frottement était ainsi réduit au maximum et les pointes alternées permettaient au mortier d'y adhérer plus solidement. De plus, tous les champs lisses des briques se trouvaient dans ce cas utilisés.
A noter, qu'il aurait fallu le double de carreaux si ceux ci avaient été rectangulaires. En ordre de grandeur, à raison d'un carreau (4 triangles) par mètre, sur 20 km cela représente 20000 carreaux pour une rangée. Comme il y en avait 6 pour une paroi, on arrive à un total de 240 000 carreaux (autour du million de triangles). C'est là que l'on se rend compte de l'idée lumineuse qu'ont eu les Romains de remplacer des rectangles par des triangles. Quant aux moellons, on ose à peine imaginer combien ont été extraits des carrières puis taillés en petits blocs.
Nous remarquerons que cette technique habile semble avoir été employée uniquement pour la construction des conduits des aqueducs, elle est, de plus, fort peu répandue (seuls les aqueducs de Metz et de Bavay l'attestent, encore qu'à Metz elle soit rarement employée).
De telles briques ont été trouvées au siècle dernier au bois du Quesnoy à Hautmont par Pierart (2) qui mentionne que " des alignements considérables de tombeaux y furent découverts ". Ces tombes étaient faites soit de " grands saloirs " enterrés soit de caveaux dont le fond était pavé de " carreaux triangulaires ", et à Ecuélin en 1880 . Cette dernière découverte est restée ignorée. Nous en avons recueilli la relation aux archives de la Mairie d'Ecuélin dans " le livre tenu à la Mairie pour l'inscription des faits et évènements mémorables ". En 1880 en creusant la citerne de la maison d'école sur un coin du cimetière, on a découvert deux sépultures gallo-romaines pavées en carreaux triangulaires tout à fait semblables à ceux de l'aqueduc qui conduisait à Bavay l'eau de la fontaine de Floursies, les parois étaient en moellons, le dessus en grosses pierres quadragulaires ".
On pourrait peut-être comparer ce mode de construction à celui employé pour les colonnes en opus latericium, là le blocage est parementé de briques taillées en portion de cercle. Les fouilles récentes d' Aléria en offrent un bel exemple.
(1) Op. cit. Egouts et Aqueducs Bavaisiens.
(2) Excursions Arch. et Hist. Avesnes, 1862.

Croquis des différents conduits :

Coupe des conduits de l'aqueduc.


Coupe des conduits de l'aqueduc.

Coupe des conduits de l'aqueduc.
C'est dans ce type de conduit, que passaient les tuyaux en plomb du pont siphon qui franchissait le Sambre
Coupe des conduits de l'aqueduc.
D'après JL Boucly, cette représentation de l'aqueduc par Chevalier, n'est pas très fiable. Les 1/4 de carreaux étaient placés à plat comme représenté ci-contre
Coupe des conduits de l'aqueduc.
Croquis de Maurice Gravellini représentant le conduit en vue de dessus au niveau des couches de carreaux.

Les 1/4 de carreaux étaient empilés sur 6 rangs, la pointe étant située vers l'extérieur du conduit. Cette technique particulièrement astucieuse permettait d'utiliser les 4 faces lisses du carreau ce qui limitait le frottement de l'eau sur les parois, ce qui n'aurait pas été le cas avec un mur en moëllons. Le fait de décaler les rangées permettait non seulement une meilleure liaison avec le ciment mais aussi de réaliser des énormes économies de terre, de moulage et de cuisson, puisque pour un quart de carreau posé, un autre quart était économisé.

Les canalisations en plomb :

A propos des tuyaux en plomb, Minon disait dans son ouvrage : " ... chacun en parle depuis Piérart ; mais, en somme, personne ne les a vus. Ce qu'on a trouvé dans le haut de Boussières, ce sont deux plaques de plomb tournées en tiers de cercle, de 2 centimètres et demi d'épaisseur environ et 25 centimètres de flèche. Le champ de ces plaques portait des lettres, peut-être des chiffres de repère.
Est-ce le fragment d'un drain ? Nous jugerions fort téméraire de l'affirmer; on ne comprendrait pas d'ailleurs étant admise la présence de ces conduites de plomb sur tout le parcours, l'utilité des murs gigantesques et formidables qui formaient l'aqueduc en bien des endroits. Pour donner toute notre pensée, nous ajouterons que nous croirons à, l'existence des tuyaux de métal quand nous les aurons vus; car nous sommes loin d'avoir une foi robuste dans les affirmations de paysans qu'on interroge d'après des idées préconçues et à qui l'on fait dire tout ce que l'on pense, attendu qu'ordinairement ni les demandes ni les réponses n'ont la précision et la justesse désirables et sont interprétées par chacun selon sa tournure d'esprit et les besoins de la cause."

En 1964, JL Boucly confirmait la présence près du mur de St Rémy de déchets de plomb, de sable brûlé, de goulotte et d'une une surface bétonnée de 2,40 m x 1,80 m faite d'éclats de pierre bleue noyés dans un mortier blanc que les romains auraient utilisé pour la fabrication des plaques de plomb . Autant d'indices qui laissent à penser qu'il y avait là un dispositif qui permettait la confection des tuyaux et qu'un siphon franchissait bien la vallée de la Sambre.
" ... Nous avions déjà trouvé l'an dernier quelques déchets de coulée de plomb presque pur ainsi que des morceaux de soudure qui contenait 27.80 % de Sb et 6, % de Pb. Cette année d'autres fragments ont été recueillis à la surface du sable de fonderie et dans la couche de charbon de bois qui la recouvrait."
Fondu sans doute dans un dispositif fort simple qui n'a pas été retrouvé, le métal s'écoulait par la goulotte qui devait être garnie d'un revêtement de sable maigre et se répandait sur le garnissage de l'aire bétonnée. Plusieurs feuilles devaient y être fondues à la fois. Il suffisait pour cela de creuser dans le sable autant de moules séparés par des bourrelets.
La longueur des feuilles de plomb ainsi fondues ne pouvait être que de 2,40 m au maximum. Elle était même probablement plus petite puisque la goulotte est en partie bâtie au-dessus de l'aire bétonnée.
Cette dimension ne correspond pas à celle qu'indique Vitruve, pas moins de dix pieds de longueur. Nous remarquerons toutefois que Frontin et Vitruve ne parlent que des tuyaux calibrés utilisés pour les adductions particulières et ne nous renseignent pas sur ceux employés dans les siphons... "

Pour faire franchir la dépression que présente la vallée de la Sambre par un siphon constitué de deux tubes d'environ 30 cm de diamètre confectionnés à partir de feuilles de plomb de 1 m x 1 m et 2 cm d'épaisseur, le poids de plomb à approvisionner aurait été de :
10 x 10 x 0,2 x 11,3 x 1565 x 2 = 707,400 tonnes.
Les mines de Cornouailles, exploitées à l'époque par les Romains auraient d'ailleurs permis l'extraction d'une quantité aussi importante de plomb.

Ci dessus, les calculs proposés par M. Gravellini. Ci dessous ceux de R. Jolin. Ils sont totalement différents et devront être vérifiés avec l'option 2 ou 3 tuyaux.

On admet généralement que la section S m2 convenable pour écouler un débit Q m/sec. Est donnée par la formule:
S = 1,75 Q
Pour la traversée de la Sambre, le débit de 270 m3 / heure donne : Q = 0,075 m3 / sec,
S = 0,13 m2

Si nous supposons que l'eau s'écoulait dans 3 tuyauteries parallèles, chacune d'elles aurait eu un diamètre de 23 cm.
D'après Vitruve, les tuyauteries de plomb avaient une longueur de 10 pieds (3,2 m environ) et leur poids était fonction de la largeur développée de la feuille de plomb qui formait le tuyau. Un tuyau fait avec une feuille de 100 doigts (1840 mm) pesait 1200 livres.
Pour les tuyaux que nous avons supposé être utilisés, la largeur de la feuille de plomb aurait été de 725 mm ou 40 doigts. Le poids de chacun des tuyaux aurait été de 480 livres. Pour couvrir la triple longueur de 1800 mètres qu'aurait eue la canalisation, il aurait fallu 1700 tuyaux, représentant un poids total de 816000 livres ou environ 400 tonnes.
Ce poids est bien inférieur toutefois à celui qui a été utilisé à Lyon dans un cas analogue et évalué à plus de 2.000 tonnes.

Pour réaliser le genre de tube dont était constitué le siphon qui raccordait les deux versants de la vallée de la Sambre, il faut citer ici, la triple conduite hellénistique du Madradag, sur la cote Ouest de l'Asie Mineure, construite sous Eumène II, 197 - 159 av. JC, qui était longue de 40 km et alimentait la citadelle de Pergame.
Cette triple conduite était constituée d'une multitude de tubes raccordés, entre eux, par emboîtements et dont de nombreux spécimens ont été retrouvés.

Tuyaux en plomb.
Tuyaux de la triple conduite de Madradag.

Le nombre important de ces tubes à emboîtement qui constituaient cette triple conduite a dû nécessiter autant de joints à étancher. Des résidus de matière trouvés sur place ont permis de déterminer qu'il s'agissait d'un mélange de boue et d'argile et l'adjonction de matière hydraulique à base de pétrole, de graine végétale ou d'huile.
Pour l'ingénieur Vitruve, 1er siècle av. JC, les tuyaux en céramique devaient avoir une épaisseur de 5 cm et être effectivement façonnés de manière à s'emboîter les uns dans les autres. Il recommandait de badigeonner les joints avec de la chaux vive mélangée à l'huile, et pour assurer une étanchéité parfaite il suggérait de mettre de la cendre dans les tuyaux avant d'y faire passer l'eau afin que la moindre fuite se trouve bouchée.
Il faut croire que la triple conduite de Madradag ne donna pas entière satisfaction puisque 200 ans plus tard, les Romains en complétèrent une partie par une conduite forcée longue de 3 km en un point du parcours où la dénivellation était de 190 m et où la pression de l'eau, au point bas était de 19 kg / cm2, représentant plus du double des exploits réalisés à l'époque.
Aucune partie des précieux tuyaux métalliques qui constituaient cette conduite n'a pu être retrouvée. Ils ont été arrachés et pillés dès l'Antiquité.
Cependant l'empreinte de leur cheminement a pu être identifiée et la chimie moderne a permis de reconnaître la moindre trace de métal lourd. La teneur en plomb dans les parties prélevées était 56 fois plus forte que la teneur constante des autre métaux, ce qui semble prouver que cette partie de conduite forcée romaine du Madradag de Pergame était en plomb. Elle est aujourd'hui considérée à juste titre, comme étant l'une des plus grandes entreprises hydraulique de l'Antiquité.


*Sommaire*